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  • guillaumebaudrin

Quel rôle pourrait jouer l'hydrogène dans l'équilibrage du réseau électrique, et quel intérêt d'un réseau H2?

Dernière mise à jour : 30 janv.

L'hydrogène... un mot qui suscite de nombreux débats tant il pourrait s'avérer une solution indispensable pour décarboner certains usages (mobilité très lourde et industrie notamment)... mais regorge aussi d'applications non pertinentes, parfois à grand renforts d'annonces et de levées de fond, de déceptions, d'échecs...


Nous faisions en 2022 une synthèse des usages potentiels, selon leur niveau de pertinence. Cette analyse reste relativement d'actualité, et l'un des usages qui apparait comme potentiellement clé, mais est moins connu du grand public (car plus lointain dans le temps et moins directement visibles) est celui de l'équilibrage du réseau électrique, en cas de fort mix EnR.


Plusieurs solutions sont possibles: mobilisation du réseau gaz (méthane) existant, qui serait à terme bas-carbone (c'est l'option privilégiée par l'Ademe dans ses scénarios Transition 2050), ou usage de l'hydrogène (et réseau dédié)... C'est la configuration recommandée à date par RTE.


L'article expose pourquoi RTE privilégie cette option pour l'équilibrage du réseau électrique, et quels seraient également les avantages à développer un réseau hydrogène.


Les besoins en "flexibilité" dans les scénarios RTE 2050


Fin 2021/début 2022 RTE publiait ses scénarios "Futurs énergétiques 2050" dans lesquels :

  • Ils évaluaient l'évolution de la demande en électricité d'ici 2050 - en prenant en compte des baisses (efficacité énergétique dans les bâtiments p.Ex), des hausses dans les secteurs existants (p.ex passage de chaudières gaz à des pompes à chaleur ou électrification de procédés industriels), et de nouveaux (mobilité électrique et production d'hydrogène)

  • Ils développaient 6 scénarios de mix de production électrique - avec des proportions plus ou moins élevées de nucléaire et d'EnR (PV, Eolien), et des hypothèses communes sur d'autres énergies (hydraulique, bios énergie, énergie marine, imports et STEP)




En fonction de la proportion de capacité de production pilotable, 4 solutions de flexibilité sont nécessaires, avec des capacités plus ou moins importantes. Il s'agit:

  • De la flexibilité de la demande (p.ex demandes d'effacement de certains consommateurs à certains moments de la journée)

  • Le "véhicule to grid" ou V2G: la possibilité d'injecter de l'électricité dans le réseau via les batteries des véhicules (les voitures servent de grand stockage...)

  • Des batteries stationnaires

  • Et le "Nouveau thermique décarboné"


Le "nouveau thermique décarboné" s'avère nécessaire à l'équilibrage du réseau dans 5 des 6 scénarios RTE - avec des besoins en puissance installée allant de 5 à 29GW. Seul le scénario le plus "nucléaire" (mais comportant quand même 50% d'EnR) se contente des 3 autres solutions de flexibilité.


Fonctionnement du "nouveau thermique décarboné" dans les scénarios RTE


Ce nouveau thermique décarboné repose sur la production d'hydrogène par électrolyse permettant d'absorber des surplus de production d'EnR (le fameux Power-to-gas).

Ensuite 2 options sont possibles pour le stockage, le transport et la reconversion en électrique:

  • La conversion de l'hydrogène en méthane de synthèse par le procédé de méthanation, son injection dans le réseau de gaz naturel existant, puis son utilisation dans des centrales thermiques gaz (cf fonctionnement actuel)

  • La création d'un réseau (transport/ stockage) H2 dédié et son utilisation directe dans des centrales thermiques (conçues pour la combustion d'H2)

L'utilisation de PAC (Pile à Combustible) pourrait être une alternative aux centrales thermiques pour la conversion directe d'H2 en électricité (cf schéma ci-dessous), cette voie n'est cependant pas envisagée par RTE, car plus couteuse.


La filière Power-to-methane (avec l'udage de la méthanation) - privilégiée par l'Ademe - présente des avantages... mais aussi plusieurs inconvénients :

  • Utilisation d'un réseau gaz de transport/ distribution existant

  • Utilisation de centrales gaz existantes (mais à renouveler d'ici là en partie) et de technologie mature

  • Des technologies de méthanation encore non complètement matures (2 principales technologies en développement: catalytique et biologique)

  • Une "brique technologique" supplémentaire -> rendement et cout dégradés

  • Des besoins en CO2 (pouvant par exemple provenir des sites de méthanation), sans réseau de transport existant


Aussi RTE estime qu'un emploi direct de l'hydrogène (boucle power-to-H2-to-power) sera à terme plus efficient, malgré plusieurs défis à relever:

  • La construction d'un réseau de transport dédiées (avec des possibilités de conversion de réseaux existants)

  • La mise en oeuvre de stockage suffisants

  • Le développement des centrales thermiques H2 (pour lesquelles 2 technologies sont envisagées Centrale à cycle combiné et turbine à combustion, cf calcul de rendement ci-dessous, estimé au global à 30%)


Cette sollicitation du "nouveau thermique décarboné" - et donc de production d'hydrogène dédiée interviendrait principalement en hiver (lors des baisse de capacité de production PV... et plus forte demande de chauffage). Elle viendrait s'ajouter à la demande pour les autres usages d'H2 (industrie, mobilité très lourde...) état eux stables durant l'année (cf graphique ci-dessous).


Le Power-to-methane... un procédé également envisagé pour la décarbonation du réseau de gaz... et des usages associés


La décarbonation du réseau gaz (méthane) existant - et aujourd'hui constitué quasi exclusivement de gaz naturel (donc fossile) importé - est également un enjeux fort de la transition énergétique.

Les différents scénarios (SNBC, Ademe, GRTGaz/ GRDF, Ademe, Negawatt...) tablent tous sur une décarbonation à hauteur de 80 à 100% d'ici 2050.

Pour y arriver: une baisse globale de consommation (de fortes baisses : le chauffage résidentiel, tertiaire et l'industrie, avec un report sur le vecteur électrique, et de nouveaux usages en mobilité), et la production de gaz renouvelable:

  • La méthanisation (procédé le plus mature, avec une capacité actuelle d'env. 2,5% de la consommation)

  • La pyrogazeification (utilisation de la biomasse ou des déchets solides) ou gazeification hydrothermales (déchets liquides)

  • Et le Power-to-méthane... soit électrolyse + méthanation

Ces 2 dernières modalités devant encore gagner en maturité, et trouver un modèle économique (en particulier le power-to-méthane, qui sera forcément bien plus couteux).



Quid de la faisabilité technique et de l'opportunité d'un réseau H2?


Beaucoup de points restaient encore en suspens au moment de la sortie des scénarios RTE, quant à la faisabilité et l'intérêt d'un tel réseau de stockage/ transport d'H2, nécessaire en cas d'utilisation directe de l'hydrogène pour l'équilibrage du réseau électrique... cout, conversion des canalisation gaz, disponibilité de stockage H2 en France...

Une étude sortie en juillet 2023 et menée par RTE et GRTgaz donne des premiers éléments de réponse sur la faisabilité d'un tel réseau, mais aussi les bénéfices d'un système H2 flexible que ce réseau permettrait.


Quel besoin de stockage en fonction de quel usage d'H2 ?


La création d'un tel réseau permettrait de flexibiliser l'ensemble de la production d'H2 (aussi bien pour les usages finaux autre: industrie, mobilité lourde... que pour l'équilibrage réseau): on pourrait produire lorsque l'électricité est abondante/ à bas cout. Le besoin en stockage est estimé à :

  • 10 TWh, dans le cas d'un scénario d'usage de 35 TWh d'H2 / an (le scénario RTE de base)

  • 25 TWh dans le cas du scénario H2+ de RTE (120 TWh/an)

Les 2 scénarios RTE (référence et Hydrogène +) et la répartition des usages envisagés en 2030 / 40 / 50. Un comparatif de tous les scénarios (SNBC, Ademe, Negawatt, RTE, GRT....) serait intéressant... car les volumes globaux varient, mais aussi les priorité d'affectation entre usages mais ce n'est pas l'objet de cet article!


Comment stocker l'hydrogène?

Le type de stockage le plus connu, mature et économique est le stockage en "cavité saline" - déjà utilisé pour du stockage méthane (d'autres solutions comme le stockage en milieu aquifère ou gisements de gaz déplétés - épuisés sont à l'étude mais bien moins matures).

D'après les opérateurs de stockage gaz (Storengy, Teréga) ces cavités salines permettraient de couvrir (via sites existants, à convertir - des stockages méthane n'étant plus nécessaires avec la baisse des consommations - ou identifiés) les besoins de stockage pour un scénario de consommation H2 tel que le scénario RTE de référence (en revanche dans le scénario plus ambitieux H+ cela ne passerait pas... et il faudrait des solutions moins matures, ou utiliser des stockages hors France...).



Quel réseau de transport de l'H2, comment le déployer et pour que cout ?

Le développement d'un réseau permettant un fonctionnent flexible de la production d'H2 dans le cas d'un scénario de production électrique N2 (63% EnR, 36% Nucléaire) - et du scénario de référence H2 (35TWh de consommation annuelle) pourrait se pour moitié en convertissant des canalisations de transport de méthane existantes. L'autre moité serait du réseau neuf, pour un cout total réseau + stockage de 10Md d'€ (hors hypothèse de transit d'H2 à travers la France entre Afrique du Nord, Espagne et pays du nord de l'Europe).


Ce réseau permettrait de relier les principaux pôles de consommation: ports, aéroports, bassins industriels majeurs (Fos, Dunkerque, Vallée de la Chimie...) - associés à des unités de production massifiées, des sites de stockage, et des interconnexions avec certains pays Européens (notamment l'Allemagne, la Belgique et l'Espagne).


Un tel réseau ne serait en revanche pas suffisant pour alimenter les usages plus diffus envisagés dans les différents scénarios hydrogène: industriels en dehors de ces zones, mobilité lourde routière...

C'est d'ailleurs ce développement "à 2 vitesses" que craignent 9 acteurs Français de petite/ moyenne taille spécialisés dans le développement de projets EnR et H2 (dont Valeco, CVE, Vallorem), qui publiaient fin 2023 une tribune dans les échos appelant à soutenir les projets de production inférieurs à 30MW, valorisant des EnR et portés par des PME. En effet de tels projets risquent de ne pas être éligibles au mécanisme de soutien à la production d'hydrogène, en cours de consultation - tandis qu'ils constituent jusqu'à présent 87% des projets en développement (portés notamment par l'Appel à projet Ademe écosystèmes territoriaux H2).


L'Appel à Projet GRDF "décarbonation de l’industrie à partir de gaz verts et d’hydrogène" visant à créer des boucles locales (donc des réseaux de distribution) vise également à lancer une réponse plus maillée des besoins en H2 dans les territoires...


Quels avantages d'un système hydrogène "flexible", associé à un réseau H2 ?

Pour étudier les avantages d'un réseau H2, RTE a simulé 2 systèmes énergétiques, avec ces mêmes scénarios (production élec. N2 et scénario H2 de référence):


Un système hydrogène "non flexible":

  • Pas de réseau H2

  • Électrolyseurs fonctionnant "en bande" (en quasi continu)

  • Un équilibrage réseau via des centrales méthane renouvelable (biométhane, e-méthane...) cf décrit plus haut


Un système hydrogène "flexible":

  • Un réseau de stockage/ transport d'H2

  • Électrolyseurs fonctionnant prioritairement lors des surplus de production électrique bas-carbone (électricité peu couteuse) - avec un surdimensionnement de la capacité d'électrolyse installée

  • Un équilibrage réseau via des centrales H2 raccordées au réseau H2


Et conclut que le système hydrogène "flexible" apporte les avantages suivants:

↘️Une diminution des besoins en capacité de production (d'électricité) "de pointe" de -5GW - il s'agit de centrales thermiques, qui dans un système H2 non flexible doivent parfois fonctionner en même temps que les électrolyseurs (alors qu'en système H2 flexible on peut à ces moments là les arrêter)

↘️Une diminution de la production électrique bas-carbone "non valorisée"de -15TWh


L'analyse économique conclut à un gain net annuel (en prenant en compte notamment les surcouts du au déploiement du réseau) de 1,5 Md€/an.




Mais de tels dispositifs d'équilibrage du réseau seront-ils réellement nécessaires?


Même si les études RTE/ GRT sont plutôt bien bâties... et démontrent l'intérêt d'une production d'H2 flexible associée à un réseau H2, on peut toujours se demander:


❓Avec les annonces du gouvernement à l'automne 2023 sur une relance "massive" du nucléaire... aura-t-on réellement besoin d’autant de capacités d'équilibrage du réseau électrique ?

Comme l'explique fort justement Eric Vidalenc de l'Ademe dans cet article, même avec les annonces de l'automne 2023 de constructions de nouveaux EPR... et en prenant en compte des prolongations de la durée de vie des réacteurs actuels, le niveau de production record autour des années 2010 (420TWh/an) sera sans doute pour toujours un record historique... et en 2050 on ne devrait pas pouvoir compter sur plus de 250 TWh (notamment du fait del'effet "falaise", avec la fin de vie quasi simultanée d'un grand nombre de réacteurs)... pour des besoins de plus de 600 TWh.

D'où le signal d'alarme tiré par de nombreux acteurs sur le retard dramatique pris par la France dans le développement incontournable des EnR...


❓Et dans des scénarios de plus forte sobriété type Negawatt, est-ce qu'on a besoin d'une telle usine à gaz?

En fait le besoin est bien plus importants, car même avec une consommation finale d'électricité bien plus faible (350 TWh contre 600Twh dans le scénario RTE), notamment du fait de plus de sobriété, mais aussi d'usages plus conséquents d'autres vecteurs (notamment biomasse), un mix électrique 100% EnR nécessite plus de capacités d'équilibrage du réseau. Negawatt considère pour le stockage "intersaisonnier" un système power-to-méthane, en utilisant le réseau existant, et 36GW de puissance installée d'électrolyse, pour 122 TWh d'électricité consommée.


Philippe Bihouix plaide lui (entendu lors d'une journée rassemblant le monde de la recherche et des entreprises - voir un debrief ici) pour une meilleure acceptation sociale de "l'effacement"... permettant de drastiquement diminuer la consommation électrique à certains moments... en acceptant par exemple de laisser chuter la température dans les logements lorsque la production électrique n'est pas suffisante...

Des pistes toujours stimulantes pour repenser notre cadre de référence... notre réel besoin de confort et les impacts sur l'environnement d'une transition énergétique à ISO besoins..


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